Sur la table du déjeuner, à l’arrière du voilier, se côtoient des croquettes de fromage de chèvre, fondantes et croustillantes, une salade mêlant tomates et avocats assaisonnée d’un vinaigrette à la mangue, mais aussi tartare de thon, crevettes sautées, courgettes poêlées…Un festin d’autant plus appréciable après les baignades du matin et d’autant plus loué qu’il est réalisé avec les moyens du bord. Ina a grandi à Châteauroux avant de partir aux Caraïbes il y a vingt ans. Depuis dix-huit mois, elle régale les clients qui passent la semaine sur un catamaran, voguant d’une île Vierge paradisiaque à une autre.
Comme Ina, des dizaines de jeunes Occidentaux, hommes ou femmes, servent sur ces catamarans charters. Skippers ou hôtes(ses), ils sont aussi habiles aux fourneaux qu’à la manœuvre Peu leur importe le confinement, ils naviguent dans l’un des plus beaux espaces maritimes du monde. les fonds sont si limpides qu’on y suit une raie ou une tortue plusieurs minutes. Quant au turquoise des eaux et au blanc du sable ombré de palmiers, ils sont à étaler avec modération sur les réseaux sociaux tant ils rendent envieux. Où que l’on soit dans l’archipel, se détache la ligne accidentée d’une demi-douzaine d’îles plus ou moins proches, havres rassurants à quelques encablures.
Les célébrités s’y bousculent
Vierges, ces îles le sont depuis Christophe Colomb. Depuis qu’en 1493, lors de son deuxième voyage vers les Amériques, le navigateur les découvre. Ils les trouve si nombreuses et si rapprochées qu’il songe ) la légende chrétienne de sainte Ursule et des 11 000 vierges, et qu’il les baptisa ainsi ! Âprement disputé ensuite, l’archipel est aujourd’hui divisé en trois. Une poignée d’îles est rattachée à Porto Rico, quelques autres appartiennent aux États-Unis (les îles Vierges américaines) et une soixantaine, habitées par 30 000 chanceux, sont un territoire de la couronne britannique>. Ces British Virgin Islands, dites plutôt BVI ( prononcer Bi Vi Aille), en sont assurément l’un des plus beaux joyaux exotiques. Un des plus prisés aussi, pour la légèreté de ses impôts qui les classe parmi les paradis fiscaux.
Les milliardaires ne s’y trompent pas. Depuis les hauteurs de Virgin Gorda, le panorama sur les îles en contrebas, respire la beauté et l’opulence. Droit devant, Necker Island appartient depuis 1983 à Sir Richard Branson, fondateur de la marque…Virgin!. Il y a construit un luxueux complexe dont Lady Di et ses fils, Robert de Niro, Steven Spielberg ou Barak Obama à sa sortie de la Maison Blanche ont goûté les charmes. L’entrepreneur et aventurier serait aussi propriétaire de Mosquito, à main gauche. Pas de souci de voisinage avec Larry Page, cofondateur de Google, sur Eustatia Island. Son île est privatisable pour 14 personnes maximum: comptez …35000 dollars la nuit ( 3 nuits minimum), incluant 18 membres de personnel, les repas et les activités nautiques.
Terminons cette tournée du gotha par Prickly Pear (la figue de Barbarie), une île appartenant à la reine d’Angleterre, le yacht-club de la famille Rockfeller et celui du prince Aga Khan. Non loin, à la porte nord-est de Virgin Gorda, des Américains se sont regroupés à Oil Nut Bay, enclave paradisiaque déployant de grandes villas avec piscine. Ils s’y rendent aux alentours de Noël, les louant fort cher le reste de l’année. Voilà qui laisse songeur, surtout après avoir croisé un local, balai à la main.
Des épaves et des pirates
L’intérêt majeur de l’île de Virgin Gorda se situe de l’autre côté, tout au sud. En chemin, pause photo impérative sur la mince langue de terre de l’enchanteresse Savanah Bay et détour par la mine de cuivre. Le site contraste par son aridité, ses cailloux ourlés de vert métallique et ses pans de mur témoins de l’exploitation au XIXe siècle. Le parc des Baths se donne un air de Seychelles. Des géants se sont amusés à lancer des blocs de granit, enchevêtrés sur la plage. Ils forment des cavités et des passages parmi lesquels on barbote, on se baigne, on escalade jusqu’à déboucher sur le fabuleuse Devil’s Bay.
Retour à bord de Palilu. Le soleil tape fort, atténué par les alizés, les pélicans rasent les flots. Sous l’œil vigilant de notre capitaine du Dorset, je tiens la barre, veillant au gonflement de la voile pour maintenir le cap. 10 nœuds. Le catamaran file à belle allure jusqu’au parc national marin du RMS Rhone. Britannique malgré son nom, ce navire de commerce a coulé avec ses passagers au large de Salt Island, le 29 octobre 1867. L’épave repose à faible profondeur, sa coque disloquée en deux grosses parties, pour la plus grande joie des coraux, des langoustes, d’innombrables poissons et des plongeurs pourvus de bouteilles ou simplement d’un masque et d’un tuba.
Le RMS Rhone doit sa perte à un ouragan. Ils frappent en automne. En septembre 2017, Irma a durablement marqué les esprits et les paysages, même si la végétation a rapidement repris le dessus. À Peter Island, le complexe hôtelier a été balayé et se reconstruit, tout comme le bar flottant. Les grottes semi-immergées de Norman Island sont restées intactes. Elles fascinent les baigneurs depuis que des pièces d’or se seraient échappées des parois pour atterrir dans la barque d’un local. Il est vrai que les histoires de pirates, de mutins et de coffres perdus pullulent dans le secteur. Robert Louis Stevenson se serait ainsi inspiré de la carte fort découpée de Norman Island pour en faire son Île au trésor.
Le bar des billets mouillés
Une nuit de repos dans une crique et il est temps de reprendre la mer. La suite ? À chacun de l’écrire ! Tortola, l’île principale, offre de nombreuses haltes avec sa distillerie bien dans son jus, sa petite capitale, ses plages de sable farineux et ses hauteurs verdoyante. J’opte pour Jost Van Dyke, au nord-ouest, curieux de son spa flottant et du mythique bar Soggy Dollar, littéralement « Dillar détrempé ». Faute de ponton, il fallait tremper ses poches pour atteindre ce dernier. Le bar serait à l’origine du cocktail local à base de rhum, d’ananas, d’orange et de crème de coco. Son nom a l’irrésistible attrait de son archipel d’origine: Painkiller, « tueur de douleur »…